Je soumets à la sagacité des enseignants cinq activités d’évaluation (Θέματα γραπτών ανακεφαλαιωτικών απολυτηρίων εξετάσεων) proposées dans un collège en Grèce. Ces activités sont toutes les cinq, m’a-t-on dit, des activités d’apprentissage recyclées au moment des examens de fin d’année « pour que les élèves ne soient pas déroutés ».
Décortiquons cette première activité :
Ne parlons pas du texte proposé : il est très certainement tiré du manuel utilisé en classe par les élèves examinés.
Concentrons-nous plutôt sur la question α. Dans le cadre d’une activité d’évaluation, cette question n’aurait jamais dû être posée parce qu’elle tend un véritable piège à l’examiné. Certains penseront en effet que c’est Akim qui habite dans les environs du bd Vincent-Auriol (J’habite boulevard Vincent-Auriol), et non Stéphane. D’autres se diront qu’une personne qui déclare habiter boulevard Vincent-Auriol ne peut pas habiter près du boulevard Vincent-Auriol. Enfin, des esprits plus tordus (ou plus malins ?) remarqueront peut-être que Stéphane dit ne pas habiter loin du boulevard Vincent-Auriol (Ce n’est pas loin.). De « pas loin » à « près », il n’y a qu’un pas ! Ha ha ha ! Trois réponses sont donc possibles : oui, non ou ce n’est pas clairement dit. On pourrait admettre que les trois réponses soient correctes si les élèves avaient été priés, ce qui n’a pas été le cas, de justifier leur réponse.
Quant à la question β, on peut y répondre sans vraiment la comprendre… et sans comprendre le dialogue non plus. Il suffit de repérer la séquence « apporte pour le goûter » et de recopier les substantifs qui suivent. Il est à parier d’ailleurs que si la question avait été « Qu’est-ce que Stéphane apporte pour le goûter ? », les réponses des élèves n’auraient pas changé : « (des) gâteaux – (du) jus d’orange ».
Mais ce sont les questions qui ont trait au système de la langue qui doivent plus nous intéresser :
Cette deuxième activité amène les élèves à produire des séquences discursives qui n’existent pas. Les réponses négatives les plus probables à des questions du type « Elle va à l’école ? » seraient, non pas « Non, elle ne va pas à l’école. », mais plutôt : « Non. » ou « Non, pas encore. » ou « Non, elle n’y va pas. » ou « À l’école ? Non. »
La consigne réduit le travail de l’élève – et les risques d’erreurs inhérents ! – au strict minimum : « Fais la négation. ».
On donne un exemple à imiter mécaniquement (parle allemand / ne parle pas allemand, va à l’école / ne va pas à l’école, bois du café,/ ne bois pas de café, êtes tristes / n’êtes pas tristes, ont 14 ans / n’ont pas 14 ans, voulez des rayons / ne voulez pas des rayons).
Les débuts de phrases sont suggérés (« Non, elle… », etc.).
Nous ne sommes pas bien haut dans les classifications (Bloom, Anderson, Krathwohl), par ordre de complexité, des compétences cognitives (se rappeler, comprendre, appliquer, analyser, etc.) à mettre en œuvre pour résoudre les problèmes. Il ne s’agit même pas d’exercices d’application puisqu’il est possible ici de les effectuer sans comprendre ni le sens des phrases, ni même leur structure syntaxique : « *Elle schmilblick gaga schmilblock ? *Non, elle… ne schmilblick pas gaga schmilblock ».
En outre, cette activité immotivée (on ne sait pas qui parle à qui, de quoi, pourquoi ?) est particulièrement démotivante (à retenir : immotivé => démotivant !).
On pourrait la remplacer par une consigne du genre : « Qu’est-ce que tu ne fais pas le dimanche ? ». Des réponses valides pourraient être : « Je ne vais pas à l’école, je ne fais pas mes devoirs, je ne vois pas mon professeur, etc. »
Tout ce qui précède peut être dit aussi à propos des activités qui suivent. Bornons-nous à proposer des consignes plus communicatives :
Alternative proposée : « Qu’est-ce que vous avez fait hier soir ? ». Mieux encore : « Envoyez un petit email à Fabien, votre ami français. Dites-lui ce que vous avez fait hier soir. » Cette consigne pourrait ou devrait (longue discussion !) bien entendu être formulée en grec.
Ici, on demande aux élèves de se livrer à une transformation qui n’est pas vraiment utile au plan de l’efficacité de la communication, de la bonne réalisation des intentions du locuteur. Que je dise « Nous achetons cette maison », ou « Nous l’achetons », au plan purement pragmatique, le résultat escompté sera très probablement obtenu. Aussi serait-il peut-être plus intéressant de faire découvrir par les élèves quel antécédent peut se cacher derrière chaque pronom personnel.
Proposition d’activité, de réception cette fois et non de seule mise en œuvre quasi mécanique du système de la langue :
Arnaud : « Ah ! cette maison, les promeneurs, les enfants qui jouent sur le trottoir et les vendeurs de fruits et de légumes juste en face. Comme je l’aimais ! »
Qu’aimait Arnaud ?
Dans le même esprit et avec un texte suivi plutôt que quatre phrases aussi inutiles (qui parle à qui et de qui ?) qu’indépendantes, une alternative possible serait : « Lis l’email que je viens de rédiger. Si nous sommes deux à écrire ce mail, quelles transformations devrons-nous effectuer ? »
Morale de tout ceci : offrons le meilleur à nos élèves !
Confrontons-les à des textes naturels et vraisemblables.
Faisons-leur réaliser des activités probables et motivées.
Ne limitons pas leur apprentissage du système de la langue à l’application d’une collection de stratégies mécanistes.
Débarrassons nos exercices des phrases fabriquées et détachées de tout contexte.
Joignons l’utile à l’agréable, le motivé au motivant !
Élèves et profs n’en seront que plus contents.